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« Un désir démesuré d’amitié », d’Hélène Giannecchini, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 288 p., 21 €, numérique 15 €.
En décembre 2019, alors qu’Hélène Giannecchini est sur le point d’achever son deuxième livre, Voir de ses propres yeux (Seuil, 2020), une passionnante enquête personnelle sur la mort et le deuil, elle pense déjà au texte suivant. Elle veut écrire un livre sur l’amitié. L’amitié comme refuge, comme autre possibilité que la famille de sang pour inventer de nouvelles formes de vie collective. « Au moment de me lancer dans cette aventure, j’ai 34 ans, confie-t-elle au “Monde des livres”. Je sais très bien que je ne vais pas fonder une famille, malgré les injonctions que je subis. Je suis une femme queer à la recherche de son histoire et de ses semblables. »
Quand elle parle de son projet à son entourage, elle cherche d’abord des pistes de lecture. Mais les livres qu’on lui conseille sur ce thème (Jacques Derrida, Maurice Blanchot, Montaigne…) ne retiennent pas son attention. Le vrai déclic vient d’elle-même, lorsqu’elle découvre un texte de Saint-Just écrit en 1794, dans lequel le révolutionnaire propose de conférer un statut juridique à l’amitié. « L’idée d’aller déclarer ses amis au Temple de la Raison m’a fascinée, raconte l’autrice. Je me suis vue présenter les miens à la mairie de Noisy-le-Sec [Seine-Saint-Denis], où je vis, et j’ai tout à coup imaginé une société idéale où nos amis auraient autant d’importance que nos amours ! »
Elle évoque aussi l’anthropologue américaine Kath Weston, et son travail sur les « familles choisies » par les personnes LGBTQ+ qui lui confirme une intuition : « Il y a bien quelque chose de particulier qui se joue dans les milieux queer entre la famille et l’amitié. »
Dans la démarche d’Hélène Giannecchini, par ailleurs historienne de la photographie, tout commence par les livres et se poursuit dans les images. A ce stade, elle sait que son texte parlera de la mémoire fragile et lacunaire des vies queer qui l’ont précédée. Dans son premier livre, consacré à la photographe Alix Cléo Roubaud (Une image peut-être vraie, Seuil, 2014), l’écrivaine, pour raconter son existence, s’appuyait sur des photographies, comme de minces certificats de présence et de vérité.
Pour ce nouveau projet, elle décide de recourir au même procédé. « Les photographies structurent ma tête, elles me lancent. Ce sont des déclencheurs pour mon enquête. Elles forment d’abord l’architecture secrète du projet », note-t-elle.
La toute première photographie qui a allumé la mèche du livre, elle raconte l’avoir trouvée par hasard, à l’intérieur d’une boîte à chaussures, dans une brocante parisienne. Elle représente un couple d’hommes couchés l’un contre l’autre dans l’herbe, photographiés sans doute dans la France de l’avant-guerre. Hélène Giannecchini achète le cliché, qu’elle punaise aussitôt sur son « mur de travail ». Qui sont ces amants ? Quelle fut leur histoire ? Elle cherche d’abord à identifier le contexte historique de l’image à partir des vêtements portés par le couple, mais, pour percer un mystère qui persiste, elle sait qu’elle devra inventer. Sans pour autant s’approprier ces vies. « Face au silence de l’image, j’ai compris que c’était à moi seule de décider. Je me suis dit que je pouvais imaginer des vies probables. »
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